Le gisement gazier Grand Tortue Ahmeyim (GTA), situé à cheval entre la Mauritanie et le Sénégal, suscitait il y a peu un enthousiasme sans réserve. Porté par un consortium dirigé par le pétrolier britannique BP, ce projet d’exploitation offshore semblait promis à un avenir radieux. Toutefois, alors que la mise en production de la phase I est déjà repoussée à 2025, les incertitudes économiques et stratégiques viennent désormais compromettre la réalisation de la phase II. -Un potentiel colossal mais des délais qui s’allongent Le projet GTA repose sur des réserves estimées entre 420 et 560 milliards de mètres cubes de gaz naturel, des volumes considérables qui pourraient hisser la Mauritanie et le Sénégal parmi les acteurs clés du marché énergétique mondial. La première phase du projet, initialement prévue pour 2023, devait permettre de produire environ 2,5 millions de tonnes de gaz naturel liquéfié (GNL) par an grâce à une infrastructure flottante dédiée. Dans une communication en février 2023, BP avait même affiché son ambition d’accroître cette production en lançant une deuxième phase. Cette expansion visait à exploiter davantage de puits et à doubler la capacité d’extraction, portant la production totale à près de 10 millions de tonnes de GNL par an. La proximité du marché européen, en quête de nouveaux approvisionnements face à la crise énergétique, constituait alors un atout stratégique pour le gisement GTA. -Une dynamique grippée par des contraintes financières et techniques Malgré l’optimisme initial, BP est désormais confronté à des défis majeurs qui fragilisent la viabilité de la phase II du projet. Le retard accumulé sur la phase I, dont le démarrage est repoussé à 2025 en raison de contraintes techniques et logistiques, a refroidi les ardeurs du pétrolier britannique. L’acheminement tardif des infrastructures clés, notamment la plateforme flottante de production, témoigne de ces difficultés. À cela s’ajoutent des incertitudes économiques. La baisse des cours mondiaux du gaz naturel liquéfié, couplée à une hausse des coûts d’exploitation dans un environnement offshore complexe, pèse lourdement sur les projections financières de BP. La rentabilité à long terme du projet GTA, et plus particulièrement de sa phase II, apparaît désormais moins assurée qu’au moment des premières annonces. – Des priorités stratégiques redéfinies BP, engagé dans une transition énergétique globale et soucieux de recentrer ses investissements, pourrait décider de ne pas s’aventurer davantage dans ce projet coûteux et risqué. Le groupe privilégie de plus en plus des projets à faible intensité carbone et à rendement rapide, au détriment d’exploitations gazières nécessitant des investissements lourds et des délais prolongés. « À ce stade, BP n’a pris aucun engagement pour la phase II du projet GTA », souligne un communiqué du groupe. Une déclaration qui traduit la prudence du géant britannique face aux incertitudes techniques et économiques actuelles. -Un potentiel coup dur pour le Sénégal et la Mauritanie Si BP venait à se désengager de la phase II, les conséquences seraient lourdes pour les économies sénégalaise et mauritanienne, qui misent sur l’exploitation du gaz naturel pour stimuler leur croissance. Le projet GTA est en effet censé générer des recettes colossales – estimées entre 80 et 90 milliards de dollars sur vingt ans – et favoriser le développement d’infrastructures locales. Dans ce contexte, les gouvernements des deux pays devront redoubler d’efforts pour rassurer les investisseurs et maintenir la dynamique autour du projet. Car au-delà des intérêts de BP, c’est l’avenir énergétique et économique de toute la région qui se joue au large des côtes mauritaniennes et sénégalaises.