Dans une série de messages cinglants publiés sur son compte X, l’écrivain et militant Juan Branco attaque vigoureusement les autorités sénégalaises pour leur rapprochement avec la France, une critique qui pourrait profondément diviser l’auteur de “Crépuscule” et ses anciens alliés du Pastef. Le 18 décembre 2024, lors de la commémoration du massacre de Thiaroye, Juan Branco a livré une attaque en règle contre les nouvelles autorités sénégalaises, dénonçant leur politique de rapprochement avec la France et leur invitation de dignitaires français à cette cérémonie symbolique. Un événement qui, selon lui, incarne la trahison des idéaux de souveraineté et d’indépendance qu’il pensait portés par le pouvoir actuel. Branco commence par décrire ce qu’il a vu lors de la cérémonie : « J’ai vu, à la commémoration du massacre de Thiaroye, des corps blancs par palanquées, profitant des grâces et de la générosité de l’État sénégalais, invités au Radisson Blue sur ordre et aux frais de la Primature », une image qu’il qualifie de « trahison » du gouvernement sénégalais, qui aurait cédé à la pression de la France, selon lui. Il critique vivement la présence de représentants français, qu’il considère comme des héritiers de la Françafrique : « J’ai vu des tribunes garnies d’êtres de rapine, occupant sans grâce les estrades que le nouveau régime avait promis de nettoyer. » L’écrivain va plus loin, dénonçant la promotion d’un haut fonctionnaire de la BCEAO, institution qu’il qualifie de « coloniale ». Pour Branco, cette nomination symbolise la continuité des relations avec la France, malgré les promesses de rupture du nouveau gouvernement. Il ajoute : « Le massacre des tirailleurs, pour moi, est un acte fondateur de la rupture avec un Empire français qui prétendait apporter liberté, égalité, fraternité, mais a fini par exterminer ceux qui croyaient en ses promesses. » Dans une charge violente, Juan Branco s’en prend à ce qu’il appelle « les faux camarades » français de gauche, venus à la cérémonie pour poursuivre des intérêts coloniaux : « Ces mêmes faux camarades n’ont jamais pris le moindre risque, ils arpentent les salons dorés en promettant un renouveau toujours aussi paternaliste, trompant leurs interlocuteurs au nom de l’humanité. » Il accuse ces responsables français de se présenter comme des sauveurs tout en perpétuant des logiques d’asservissement, héritées de l’époque coloniale. Un autre point de tension majeur dans les propos de Branco concerne la présence de représentants du gouvernement français, qu’il qualifie de responsables d’une répression violente contre les manifestants sénégalais un an plus tôt. « J’ai vu, au milieu d’eux, le représentant du Président de la République Française qui, il y a à peine un an, tentait d’écraser dans le sang le peuple sénégalais », une référence directe aux violences policières de 2021, pendant les manifestations contre l’arrestation d’Ousmane Sonko, actuel président du Sénégal. Branco exprime son désarroi face à la présence de ces dignitaires français et aux discours de réconciliation avec une France qu’il juge toujours aussi oppressante : « J’ai pleuré. Les tirailleurs symbolisèrent, par leur mort, la trahison d’un Empire français dont la capitale, en Afrique Occidentale, était sénégalaise. » Selon lui, les autorités sénégalaises auraient dû utiliser cette commémoration pour réaffirmer leur indépendance et couper définitivement les liens avec le colonisateur. « Rechercher reconnaissance et réparation de la France, quatre-vingt ans après, c’est trahir leur mémoire », affirme-t-il. Pour Branco, la seule manière de rendre hommage aux tirailleurs sénégalais et à leur sacrifice est de rappeler que leur lutte pour la France s’est soldée par la mort. En continuant à chercher des excuses ou des réparations de la part de la France, les autorités sénégalaises perpétuent selon lui un cycle de soumission et de souillure morale. Cette prise de position radicale pourrait avoir des conséquences profondes sur les relations de Branco avec ses anciens alliés, notamment le mouvement Pastef, dont il avait soutenu la lutte contre le régime de Macky Sall. En critiquant le pouvoir actuel, Juan Branco semble prendre ses distances avec ceux qui, au sein de Pastef, avaient placé en lui un allié précieux dans leur combat pour la rupture avec la Françafrique. L’auteur, qui s’était attiré l’adhésion de nombreux militants de l’opposition sénégalaise pour son engagement contre la politique de Macky Sall, pourrait désormais se retrouver en porte-à-faux avec ceux qui portent le nouveau pouvoir sénégalais. Son appel à une rupture totale avec la France et à la souveraineté du Sénégal semble s’opposer à la ligne pragmatique du gouvernement actuel, qui cherche à maintenir des relations diplomatiques et économiques avec l’ancienne puissance coloniale. Cette fracture entre Juan Branco et les autorités sénégalaises pourrait se traduire par une rupture idéologique entre l’écrivain et ceux qui, hier encore, luttaient à ses côtés. « La souveraineté et l’indépendance sont nos seuls parents, amants et descendants », conclut-il, affirmant sa position de rupture totale avec un passé colonial qu’il refuse de voir réhabilité. La polémique née de ses critiques risquent de raviver les tensions entre les différents courants politiques au Sénégal et de fragiliser le soutien qu’il avait jusque-là dans certains cercles de l’opposition.