Sociologue Certifié en psychologie, action sociale, protection sociale, risques psychosociaux au travail, anthropocène et diplômé en sciences politiques et relations internationales. « Depuis les années 1990, des études épidémiologiques ont montré que la prévalence des troubles mentaux et du comportement était élevée, tant dans les pays en développement que dans les pays développés » (Patel et al. 1999 ; Goldberg et Lecrubier 1995 ; Patel 2001 ; Demyttenaere K et al. 2004). La santé mentale constitue un enjeu majeur de santé publique à l’échelle mondiale, et le Sénégal ne fait pas exception. Malgré l’importance croissante des troubles mentaux dans les sociétés contemporaines, la santé mentale reste un domaine souvent négligé dans les politiques publiques de nombreux pays en développement, y compris le Sénégal. Tributaires des « facteurs psychologiques trouvant souvent leur origine dans l’enfance, mais pouvant aussi être liés à des événements de la vie adulte difficiles à surmonter comme les ruptures familiales, les violences, les maladies et les handicaps ; et les facteurs sociaux avec des inégalités de genre (les femmes étant plus touchées que les hommes) et de génération (les adultes en particulier), des différences selon le niveau de vie (les plus pauvres surtout) ou encore le contexte environnemental » (OMS, 2001, Patel et al. 2010), les problèmes de santé mentale secouent l’équilibre de la société sénégalaise. Malheureusement, la stigmatisation, la méconnaissance des troubles psychiques, ainsi que la forte influence des croyances culturelles et religieuses, compliquent la prise en charge des personnes souffrant de maladies mentales. De plus, l’accès aux soins spécialisés en santé mentale demeure limité, surtout en dehors des grandes agglomérations telles que Dakar, laissant une grande partie de la population vulnérable à l’isolement et à la marginalisation. Dans ce contexte, cet article explore les défis auxquels le Sénégal est confronté en matière de santé mentale, notamment les perceptions sociétales des troubles psychiques et les obstacles à l’accès aux soins. Nous mettons en lumière les facteurs culturels, sociaux et économiques qui influencent la manière dont les individus et les familles perçoivent et gèrent la santé mentale. En outre, nous analysons les initiatives existantes et les solutions potentielles pour améliorer la prise en charge des troubles mentaux, tout en tenant compte des spécificités locales. Cette réflexion vise à apporter une meilleure compréhension des dynamiques sociales et sanitaires liées à la santé mentale au Sénégal et à proposer des pistes de réflexion pour renforcer l’efficacité des politiques publiques et des interventions en santé mentale dans le pays. Conceptualisation : La conceptualisation de la santé mentale implique la manière dont cette notion est définie, comprise et abordée au sein d’une société, en tenant compte de divers facteurs biologiques, psychologiques, sociaux et culturels. Elle englobe la manière dont les troubles mentaux sont perçus, traités et gérés à travers différents prismes, tout en soulignant l’importance de la santé mentale pour le bien-être global des individus. La santé mentale va au-delà de l’absence de troubles mentaux ; elle est une composante essentielle du bien-être général et de la qualité de vie. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la santé mentale est définie comme un « état de bien-être dans lequel une personne réalise ses capacités, peut faire face aux stress normaux de la vie, travaille de manière productive et peut contribuer à sa communauté. Cela dénote non seulement l’absence de troubles mentaux, mais aussi un équilibre émotionnel, une bonne gestion du stress et une capacité à interagir de manière positive avec son environnement ». En effet, la santé mentale englobe plusieurs dimensions notamment : le bien-être émotionnel c’est-à-dire la capacité à gérer ses émotions, à faire face à des situations stressantes et à entretenir des relations positives, le bien être psychologique qui renvoie à la conscience de soi, développement personnel, autonomie et sens de la vie, le bien-être social qui est la capacité à maintenir des relations sociales saines, à fonctionner dans des contextes sociaux variés et à contribuer activement à la société et enfin la résilience qui reflète une capacité à rebondir après des événements stressants ou traumatiques. D’autre part, la santé mentale d’adosse également sur trois modèles explicatifs : – Le modèle biomédical : Il met l’accent sur les facteurs biologiques des troubles mentaux, comme les déséquilibres chimiques dans le cerveau ou les prédispositions génétiques. La santé mentale, selon ce modèle, peut être perçue comme un dysfonctionnement du cerveau qui nécessite une prise en charge médicale, notamment par la psychiatrie, les médicaments et la thérapie. – Le modèle biopsychosocial : Il qui intègre les aspects biologiques, psychologiques et sociaux pour comprendre la santé mentale et souligne l’interconnexion de ces trois dimensions dans l’apparition et le traitement des troubles mentaux. Par exemple, les expériences de vie, les facteurs environnementaux, les conditions sociales et les relations interpersonnelles peuvent avoir une influence considérable sur la santé mentale d’un individu, en plus des facteurs biologiques. -Le modèle socio-culturel : Ce modèle se concentre sur les influences sociales et culturelles dans la conceptualisation de la santé mentale. Il met en évidence que la manière dont les troubles mentaux sont perçus et varient considérablement d’une culture à l’autre, et que la stigmatisation des troubles mentaux est souvent liée à des valeurs culturelles. Dans certaines sociétés, les troubles mentaux peuvent être associés à des croyances religieuses ou spirituelles, ce qui peut affecter les stratégies de gestion et de traitement de ces troubles. Au-delà des modèles traditionnels, les conceptualisations modernes de la santé mentale mettent davantage l’accent sur des approches holistiques, qui intègrent des traitements pharmacologiques et psychothérapeutiques, mais aussi des facteurs tels que l’art-thérapie, la pleine conscience et d’autres méthodes de soutien communautaire. Ces approches cherchent à améliorer non seulement les symptômes, mais aussi à favoriser un rétablissement durable, en se concentrant sur la personne dans son ensemble et en tenant compte de son environnement et de ses expériences. II. Représentations sociétales des troubles psychiques : Les facteurs culturels, sociaux et économiques jouent un rôle crucial dans la manière dont les individus et les familles au Sénégal perçoivent et gèrent la santé mentale. Ces éléments façonnent non seulement la compréhension des troubles mentaux, mais aussi les choix de traitement, l’attitude envers les personnes souffrant de troubles psychiques et la volonté de rechercher une aide médicale ou traditionnelle. Au Sénégal, comme dans de nombreuses sociétés africaines, les troubles mentaux sont souvent perçus à travers un prisme culturel et spirituel. La vision dominante associe souvent les maladies mentales à des causes surnaturelles, telles que la possession par des esprits ou la malédiction. Cette interprétation peut conduire à une marginalisation des individus atteints de troubles mentaux, qui sont perçus comme « anormaux » ou « dérangés ». L’impact de ces représentations surr les individus est double. D’une part, elles renforcent la stigmatisation, ce qui peut conduire les personnes concernées à se cacher et à ne pas chercher de l’aide pour éviter le jugement social. D’autre part, ces croyances renforcent la tendance à chercher des solutions alternatives aux soins médicaux, comme la consultation de guérisseurs traditionnels, de marabouts ou de religieux, qui peuvent offrir des remèdes basés sur la spiritualité plutôt que sur des traitements médicaux conventionnels. Bien que des progrès aient été réalisés dans la sensibilisation à la santé mentale, notamment grâce à des initiatives communautaires et à l’action d’ONG locales, la stigmatisation reste un obstacle majeur à l’acceptation de la maladie mentale comme une condition médicale. Cela crée un environnement où les individus sont réticents à demander de l’aide par peur de l’exclusion sociale ou du manque de compréhension de leurs troubles. 2.1. Facteurs culturels La culture sénégalaise, profondément ancrée dans des croyances religieuses et traditionnelles, influence largement la représentation des troubles mentaux. Une kyrielle d’aspects culturels jouent un rôle central en ce sens : Croyances spirituelles et religieuses : Au Sénégal, de nombreuses personnes croient que les troubles mentaux peuvent être causés par des forces surnaturelles, telles que la possession par des esprits, la malédiction ou le mauvais œil. Cette vision spirituelle des maladies mentales, pousse de nombreuses familles à chercher des solutions auprès de guérisseurs traditionnels, de marabouts (prêtres ou guides spirituels dans la culture musulmane) ou de chefs religieux plutôt que de consulter des médecins. Cette approche spirituelle du traitement, s’accompagne souvent de rituels, de prières ou de sacrifices destinés à chasser les mauvais esprits ou à restaurer l’équilibre spirituel. Tabous et sens commun : La santé mentale reste un sujet sensible et stigmatisé dans de nombreuses communautés sénégalaises. Les troubles psychiques sont souvent perçus comme une faiblesse ou un signe de malchance, ce qui conduit à l’isolement social des sujets concernées. Cette stigmatisation sociale empêche de nombreuses personnes de rechercher de l’aide, par crainte d’un éventuel jugement de la communauté. Dans certaines familles, les troubles mentaux sont ignorés ou minimisés pour éviter la honte publique. Rôle de la famille élargie : La famille, en particulier la famille élargie, joue un rôle fondamental dans la gestion des troubles mentaux au Sénégal. Plutôt que de rechercher des soins professionnels, les familles sont enclines à gérer les situations en interne, en prenant en charge les membres souffrant de troubles mentaux au sein du cercle familial. Les proches sont souvent les premiers à déterminer si un individu doit recevoir une aide, et leur interprétation des symptômes peut être influencée par des croyances culturelles plutôt que par des connaissances médicales. 2.2 Facteurs sociaux Les facteurs sociaux, notamment les structures sociales et les normes communautaires, influencent fortement la gestion de la santé mentale de plusieurs manières : Réseaux communautaires et soutien social : Ils jouent un rôle de soutien crucial, mais peuvent aussi contribuer à la stigmatisation des personnes souffrant de troubles mentaux. Dans les villages et petites communautés par exemple, les individus souffrant de troubles mentaux peuvent être perçus comme des éléments perturbateurs de l’harmonie sociale. A ce titre, cette pression sociale peut empêcher les familles de demander une aide médicale, les incitant à privilégier les solutions traditionnelles ou religieuses.
(À suivre)