Diplômé de l’École doctorale régionale africaine de droit et de science politique de la Faculté des sciences juridiques et politiques de l’Université Cheikh Anta DIOP de Dakar, Abdoul Aziz DIOP est également ingénieur pétrolier, environnementaliste et lexicométricien. Ancien membre de l’Alliance Pour la République (APR), l’ancien conseiller spécial à la Présidence de la République a démissionné de ce parti et du cabinet de l’ancien président Macky Sall en juilllet 2023. Fondateur depuis juillet 2023 du mouvement Pacte institutionnel (Pi) de défense des institutions de la République et de la démocratie dont il parle dans cet entretien, Abdoul Aziz DIOP est Chevalier de l’Ordre national du Lion.
Une bonne partie de la classe politique et de la société civile comme Y en a marre rejettent le projet d’interprétation de la loi d’amnistie envisagée par la majorité. Dans quel camp vous situez-vous ?
« Le Peuple du Sénégal souverain, PROFONDÉMENT attaché à ses valeurs culturelles fondamentales qui constituent le ciment de l’unité nationale (…) proclame : le respect et la consolidation d’un Etat de droit dans lequel l’État et les citoyens sont soumis aux mêmes normes juridiques sous le contrôle d’une justice indépendante et impartiale ; (…) le rejet et l’élimination sous toutes leurs formes de l’injustice, des inégalités et des discriminations…»
En vertu de son article premier, « la République du Sénégal (…) assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d’origine, de race, de sexe, de religion. » Parce qu’elle bafoue cohésion sociale et l’unité nationale, soumet les citoyens à des normes juridiques inégales, foule aux pieds l’égalité devant la loi de tous les citoyens, etc., la « loi interprétative » de la loi d’amnistie n° 2024-09 du 13 mars 2024, proposée par le député PASTEF Amadou BA N° 2, est anticonstitutionnelle. S’opposer à ladite loi, c’est donc choisir le camp de la Constitution à laquelle nous avons toujours appartenu en même temps qu’une large frange de la classe politique et de la société civile dont Y en a marre.
Etes-vous d’avis que le contexte ayant présidé à la naissance du M23 est en place ?
Pour avoir été un mouvement de défense de la Constitution regroupant des partis et coalitions de partis politiques, des associations à but non lucratif, des syndicats et des personnalités indépendantes, le M23 inspire depuis juin 2011 les défenseurs de la Constitution d’hier et d’aujourd’hui. Parce qu’elle viole la Constitution, la loi interprétative suscite incontestablement un mode de sauvegarde de la Constitution comparable à celle de 2011 et dont le M23 était le porte-étendard.
Y a-t-il une solution à cette volonté de justice face à l’obstacle de la loi d’amnistie ?
Si elle était adoptée par l’Assemblée nationale très largement dominée par la coalition PASTEF, la loi interprétative de la loi d’amnistie de mars 2024 proposée par un député PASTEF constituerait un précédent dangereux qui augure une justice à géométrie variable dans un nouveau régime anti-démocratique et autoritaire de confusion des pouvoirsLa solution au problème politico juridique que pose la loi interprétative passe par la saisine sans délai du Conseil constitutionnel pour lui permettre de connaître de l’inconstitutionnalité de ladite loi. Le recours au Conseil constitutionnel a en outre l’avantage de ne pas rajouter des interprétations erronées à la loi inique interprétative de la loi d’amnistie de mars 2024.
Vous êtes resté silencieux durant toute la clameur provoquée par la publication du rapport de la Cour des comptes. Pourquoi ?
Je n’ai pas été silencieux du tout suite à la publication du rapport de la Cour des comptes. Préférant l’écrit à la parole, j’ai réagi en rédigeant un article d’analyse publié par le portail Seneplus d’informations sur le Sénégal. « Bien malins sont celles et ceux, mus par le seul amour du Sénégal, loin des tracas et combines politiciennes, qui sauront se faire entendre en disant simplement : “Stop, c’est le temps du Sénégal qui a faim et soif et non de la justice des vainqueurs” ! » En concluant de la sorte mon analyse du rapport de la Cour des comptes disponible sur le site de la haute juridiction, j’ai simplement voulu dire que j’attends de voir le vrai rapport signé par le président de chambre choisi et le Greffier de la Cour pour en avoir enfin le cœur net.
En quittant Benno vous aviez mis en garde Macky Sall. Aujourd’hui, au regard des scandales révélés, quel sentiment vous anime ?
Des quatre anciens présidents du Sénégal indépendant, le président Macky Sall est le seul à avoir fait couler autant de salive et d’encre après son départ du pouvoir le 02 avril 2024. J’aimerais bien savoir quel sentiment anime vraiment Macky Sall pour avoir réussi un exploit si peu glorieux comparé à ses prédécesseurs. « C’est la faute aux tenants indiscrets et bavards du nouveau régime », disent bon nombre de ses partisans ou ce qu’il en reste. Mon sentiment à moi est que son mauvais exploit demeure pour n’avoir pas su préparer son parti et son ancienne coalition aux impondérables qui font à la fois la force et la faiblesse de la démocratie. Le génie politique s’est enfin révélé n’être que le nain politique qui a cru jusqu’au dernier moment que le subterfuge est plus payant que le débat démocratique gagnable en dépit de l’usure du pouvoir. Ce scandale politique intuitu personae est le pire de tous les scandales révélés (réels ou supposés) depuis le départ de Macky Sall du pouvoir.
Dans quel camp politique vous situez-vous ? Etes-vous toujours dans l’esprit de perpétuer la pensée politique de feu Boun Abdallah Dionne ?
Dans l’introduction à mon dernier ouvrage consacré à l’émigration clandestine corrélée à la crise de la pêche artisanale et intitulé « Migrer comme le poisson…» (L’Harmattan Sénégal, Dakar, février 2025), je reviens significativement sur la pensée politique de l’ancien premier ministre du Sénégal Mahammed Boun Abdallah Dionne (Paix à son âme) dont je partage les grandes lignes. Je recommande vivement ledit ouvrage d’actualité à la rédaction de POINT ACTU pour une lecture critique. Cela dit, vous n’êtes pas sans savoir que j’ai fondé depuis juillet 2023 le mouvement politique Pacte institutionnel (Pi) de défense des institutions de la République et de la démocratie. Ma conviction personnelle, largement partagée par de larges franges de la société, est qu’un nouveau pacte institutionnel est nécessaire pour le retour de la confiance qu’inspirent les institutions démocratiques dont le Sénégal a besoin pour faire prospérer une économie tournée vers le plein-emploi.
Ce qu’il faut que nos compatriotes comprennent c’est que l’économie institutionnelle ou institutionnalisme articule la théorie économique et les politiques économiques en faisant de l’institution son objet là où les autres théories économiques définissent la valeur. Nous y reviendrons prochainement pour partager le résultat indépassable auquel nous sommes. parvenus et grâce auquel nous pouvons faire du Sénégal une puissance moyenne en dix ans en mobilisant l’ensemble du corps social.
Comment jugez-vous la marche du pays ?
Nous parlions au début de cette interview que j’ai le plaisir d’accorder à votre organe de la loi interprétative anticonstitutionnelle proposée par un député de la coalition PASTEF majoritaire. Cette loi inique est révélatrice du séparatisme politique – à ne pas confondre avec le mouvement séparatiste bien connu -, dont le patron et actuel premier ministre Ousmane Sonko est l’artisan. Le séparatisme dont il est question ici est une position visant la séparation d’un groupe politique – PASTEF -, des autres groupes politiques de l’opposition démocratique et républicaine pour une conduite sectaire des affaires publiques d’intérêt général. Il explique la discrimination à l’emploi à travers la vague sans précédent de licenciements illégaux, les entorses gravissimes à la liberté d’expression et au droit à l’information plurielle, le bas niveau du débat démocratique, la flambée des prix et la dégradation de la qualité de la vie partout au Sénégal. À ce rythme fou, l’artisan du séparatisme politique deviendrait l’artisan de la « ruine » qu’il n’a de cesse de proclamer. Pour ma part, j’ai envoyé mon ouvrage de 130 pages dont j’ai fait état dans cet entretien au président élu Bassirou Diomaye Diakhar Faye qui a gentiment accusé réception du travail bénévole. C’est ma contribution à la compréhension de la relation irréfutable entre la saignée migratoire et le recul drastique de la pêche artisanale dans un pays dont les espaces maritimes s’étendent sur 198 000 km2 et comprenant 7 régions maritimes (Ziguinchor, Fatick, Kaolack, Dakar, Thiès, Louga et Saint-Louis) sur 14 régions.