L’incursion d’officiers supérieurs de l’armée en retraite dans le débat sur la loi interprétative de la loi d’amnistie ne laisse guère indifférent. Tenus loin de l’agora politique durant leur carrière, des officiers de l’armée sont libres, une fois à la retraite, d’investir le champ politique. La semaine dernière, deux officiers à la retraite ont, par leur plume, secoué l’espace public. Non seulement ces deux militaires ont mêlé leurs voix au débat explosif sur la loi d’amnistie, mais ils ont ramé à contre courant de la thèse du pouvoir.
Dans une tribune intitulée “Nuremberg en gestation”,Adama Diop, lieutenant-colonel à la retraite, dit s’interdire tout commentaire portant sur le joug politique, mais il prévient : “je m’arroge le droit d’apporter mon point de vue, quand, le dessein d’une loi vise à priori, les membres d’une corporation à laquelle j’ai appartenu”. Cherchant, sans doute à expliquer les “dérives” des forces de sécurité durant les manifestations, il avance : “Nos compatriotes doivent comprendre que la Police, la Gendarmerie ou l’Armée, n’entre en action que sur la base d’un ordre d’opérations, avec ses grandes lignes, la situation, la mission, les ordres particuliers ou consignes. Compte-tenu de la situation, en découlent souvent des ordres de conduite. Ces ordres sont exécutés sur le terrain par des hommes conscients, formés au métier, imbus de responsabilités et avec en bandoulière un aveugle amour pour la patrie”. Il s’y ajoute, à l’en croire que : “nos compatriotes doivent aussi comprendre la nature, l’origine et le niveau d’application finale des ordres suivant le schéma hiérarchique qui s’impose”. Le colonel à la retraite estime qu’un “Un Président de la République ne dira jamais de tirer sur les populations. S’il demande à maintenir ou rétablir l’ordre, cela se traduira finalement sur le terrain par l’application des mesures et données techniques pour disperser les foules, ériger des barrages, contrôler des axes, boucher des itinéraires, avec l’emploi de moyens réglementaires”. Les données peuvent changer si “devant une foule hystérique, dotée d’armes blanches ou à feu et d’objets contondants pouvant donner la mort, les agents de la force publique retranchés, acculés et subissant des assauts, peuvent exercer la légitime défense pour se tirer d’affaire”.
C’est pourquoi le lieutenant-colonel Diop se demande si nous avons “le droit de cibler un citoyen assermenté, doté de moyens réglementaires et exerçant un service public et de tenter de lui reprocher quoi que ce soit devant des vandales qui pillaient, qui brûlaient des édifices et qui exerçaient la violence sur les forces de l’ordre”. Sa réponse est sans appel “Non”. Il avoue, faisant sans doute allusion au conflit en Casamance : “D’autres compatriotes ont pris les armes pour tirer sur l’Armée nationale. Qu’en dit-on ? Des négociations interminables, des projets de réinsertion pour certains et que sais-je ? Notre pays a perdu dans un drame maritime environ deux mille compatriotes, pourtant on continue de panser nos blessures” Prenant la défense de cette corporation à laquelle il a appartenu, le lieutenant colonel Diop avance : “Ces hommes du devoir ne rechignent devant rien, n’ont pas de vie de famille et bravent toutes sortes de risques et d’intempéries. On leur doit reconnaissance, respect et devoir de mémoire pour les disparus. Le pays a vacillé et si aujourd’hui les institutions sont en place, on le leur doit”. En quoi il s’oppose à ce que “les querelles crypto- personnelles ou de chapelles conduisent vers des cibles inappropriées”. “Elles resteront les mêmes et assumeront les mêmes missions, quelle que soit l’identité du dépositaire légal du pouvoir”, prévient-il. Et puis faisant visiblement dans la menace, il prévient : “Si cet élan politique n’est pas inversé, nous qui avons exercé des fonctions de guerre ne dormiraient désormais que d’un seul œil. Mieux, si on franchit ce Rubicon, l’élan du douanier qui poursuit un contrebandier, du policier devant procéder une arrestation musclée, du soldat en patrouille en zone d’insécurité ou de l’agent des parcs combattant un braconnier, pourrait manquer d’efficacité dans l’accomplissement de sa mission”. C’est clair pour le lieutenant colonel Diop : “initier des lois ciblant des membres des Forces de Défense et de Sécurité sera un précédent dangereux, car dans leur globalité, certains qui agissaient dans l’ombre des chefs tactiques ont encore des responsabilités. N’oublions pas également que ces différents acteurs ont été loyaux vis-à-vis de leur chef et non fidèles à eux, mais à leur devise”.
Le colonel de la gendarmerie à la retraite Sankoun Faty s’aligne sur la même position que le colonel Diop. Dans une lettre ouverte adressée aux députés de la XVe législature, le colonel Faty estime que cette loi, loin d’être une simple mesure d’amnistie, cherche en réalité à punir les membres des FDS tout en protégeant les fauteurs de troubles. “Vous vous êtes trompés de cible”, a-t-il lancé, soulignant que la proposition de loi, avec ses incohérences de fond et de forme, stigmatise les forces de défense et de sécurité, en particulier ceux chargés du maintien de l’ordre. Selon lui, cette loi favoriserait les auteurs d’actes de violence “quasi insurrectionnels” tels que l’incendie de biens publics, la destruction de fonds de commerce privés, et la perturbation de l’ordre public. Il souligne qu’il est paradoxal, dans un État de droit, de légitimer de tels actes tout en sanctionnant ceux qui œuvrent pour maintenir l’ordre dans le respect des lois. Ces deux tribunes ne passent pas aux yeux de Seydi Gassama, directeur exécutif d’Amnesty International Sénégal. Sur sa page Facebook, il a vivement critiqué les anciens officiers supérieurs qui multiplient les sorties dans les médias pour prendre la “défense des forces de défense et de sécurité”. A leur endroit, Seydi Gassama lance : “à ces colonels et commissaires à la retraite qui écument les médias pour soi-disant défendre les forces de défense et de sécurité, il faut rappeler que les policiers et les gendarmes ne sont pas des miliciens. Ce sont des fonctionnaires recrutés et formés pour exercer un métier strictement encadré par des lois et des règlements”. Il ajoute : “Tout policier et tout gendarme sait que lorsqu’il commet un manquement dans l’observation des lois et des règlements, il encourt des sanctions y compris des poursuites pénales. Il en a toujours été ainsi au Sénégal et dans tous les États démocratiques. On comprend mieux pourquoi malgré leur bagout, ils n’ont pas atteint le grade de général. Et Dieu merci pour le Sénégal”. *Le lieutenant-colonel Adama Diop tire à bout portant sur Seydi Gassama* La réplique d’Adama Diop ne s’est pas fait attendre. Il à littéralement crucifié le patron d’Amnesty avec un texte incisif. « En parlant des colonels et commissaires qui écument les médias, il fallait y ajouter, qui défendent leurs frères d’armes. Vous, vous dèfendez qui?. Arborer une casquette de la société civile ou de celle de » militant » de droit de l’homme, ne vous autorise pas à qualifier ces hommes d’honneur et de serment. Eux, ont porté très haut l’étendard du Sénégal, se sont sacrifiés pour leurs compatriotes, dans des situations extrêmes. Ils ont versé leur sang et leur sueur pour la défense de la patrie. Qu’avez-vous fait pour le Sénégal ? Je l’ignore. Quand on scandait nos noms, vous étiez dans le néant. Ah oui! Je vous comprends, car, si on veut être dans les bonnes grâces du nouveau maître, on donne de la voix », écrit l’officier à la retraite. « Vous semblez déifier ceux qui ont eu l’honneur de cette distinction et paradoxalement vos semblables les traitent de tous les noms d’oiseaux. Votre malhonnêteté a creuvé le plafond en disant: » merci, pour le Sénégal ». Nos poitrines sont bardées de décorations, acquises de haute lutte pour le pays. Irez-vous jusqu’à manquer de respect à ces distinctions ? Vous en êtes capable je sais, mais vos capacités physiques, intellectuelles et morales ne vous permettront jamais de porter des barettes, vous ne passerez pas aux concours et examens, alors que ces colonels et commissaires peuvent allègrement vous remplacer. Il leur manquera certainement cette capacité de failloter et n’assumeront pas de basses besognes ou d’avoir la propension de mener leur vie dans l’invective », ajoute-t-il.