Le secteur des médias sénégalais est en ébullition depuis la publication, le 11 décembre 2024, du décret 2024-3401 portant nomination des membres du Conseil national de Régulation de l’Audiovisuel (CNRA). Le Conseil des Diffuseurs et Éditeurs de Presse du Sénégal (CDEPS) dénonce des « entorses graves » aux textes réglementaires et pointe du doigt une « méconnaissance manifeste » de la loi par le ministre de la Communication, des Télécommunications et du Numérique. Dans un communiqué cinglant publié à Dakar le 6 janvier 2025, le CDEPS détaille les nombreuses irrégularités relevées dans ce décret controversé. Selon l’organisation, la nomination des membres du CNRA relève exclusivement des prérogatives du président de la République et non du ministre de la Communication, comme semble le suggérer le texte officiel. De surcroît, les mandats des membres du CNRA, fixés à six ans non renouvelables, ne peuvent être révoqués ou interrompus avant leur terme. Une « maladresse » que le CDEPS attribue à une « incompréhension totale » des dispositions légales régissant le secteur audiovisuel. Une autorité de régulation en péril Au-delà des erreurs procédurales, le communiqué du CDEPS rappelle la nature même du CNRA, une « autorité indépendante » censée garantir « l’indépendance et la liberté de l’information et de la communication » au Sénégal. La nomination de membres affiliés, même implicitement, à des partis politiques va à l’encontre de cet esprit d’indépendance et menace la crédibilité de l’instance. L’organisation professionnelle appelle en outre le gouvernement à acter la mise en place de la Haute Autorité de Régulation de la Communication Audiovisuelle (HARCA), prévue par le Code de la presse mais restée lettre morte. « Le slogan ‘jub, jubal, jubanti’ (revivifier, réformer, restaurer) lancé par le président Bassirou Diomaye Faye ne doit pas se réduire à des paroles creuses », martèle Mamadou Ibra Kane, président du CDEPS. Des relations de plus en plus tendues Cette controverse n’est que le dernier épisode d’un bras de fer qui dure depuis l’arrivée au pouvoir du président Bassirou Diomaye Faye, le 24 mars 2024. En dix mois, le ministère de la Communication s’est attiré les critiques des acteurs des médias à travers une série de décisions jugées « arbitraires » et contraires à la liberté de la presse. Le CDEPS évoque notamment un projet de loi sur la publicité qui exclut les entreprises de presse de ses consultations, malgré leur rôle central dans le secteur. Pour de nombreux observateurs, cette situation reflète un climat de défiance généralisée entre le pouvoir et les médias. « Les médias sénégalais ont joué un rôle clé dans les trois alternances politiques qu’a connues le pays », rappelle Mamadou Ibra Kane. « Ils doivent pouvoir évoluer dans un environnement serein, propice à la stabilité et au développement du Sénégal. » Alors que le Sénégal s’enorgueillit de son statut de modèle démocratique en Afrique, la gestion du secteur audiovisuel devient un test pour les nouvelles autorités. Une chose est sûre : le décret 2024-3401, loin de pacifier les relations avec les médias, ne fait qu’alimenter la polémique.