Pr, on a constaté un phénomène dans ce pays : des femmes mariées qui ont aussi des petits amis. Comment l’expliquez-vous ?
Je crois qu’il y a plusieurs aspects qu’il faut examiner pour répondre convenablement aux questions. Le premier aspect, c’est la crise du mariage. Il faut voir que dans nos traditions et nos croyances, la vie matrimoniale est entourée d’un certain nombre de symboliques qui en font une réalité plus ou moins sacrée. Et cette symbolique est non seulement connue par les conjoints et par tous les acteurs qui sont dans la communauté, qui respectent ces symboliques-là considérant qu’elles constituent les fondements de la vie familiale, du succès des enfants, de la solidité de la société et aussi de la résilience de toute la société face à toutes les calamités qui peuvent exister. Sous ce rapport, nous sommes en présence d’un aspect qui est important et qui relève de la sacralisation du mariage. Fragiliser, à se déliter et à laisser la place à une situation qui ressemble à l’anomie. C’est une situation d’absence totale de normes. En conséquence, on assiste à une situation de délitement et de fragilisation de notre plateforme des valeurs.
Il y a aussi des hommes mariés ou pas qui ne s’intéressent qu’aux femmes mariées ? On est toujours dans le même cas de dépravation ?
Deuxième aspect : le fait que le mariage dans nos traditions et dans nos croyances n’unit pas seulement les deux conjoints mais c’est une pratique qui unissait différentes communautés et à la limite deux lignages différents et participait à la consolidation de la vie communautaire. Parce que dans nos sociétés traditionnelles, le terroir était une fraction du clan et tous ceux qui habitaient dans le village entretenaient aussi des relations de parenté. Donc, le mariage participait à consolider les relations de parenté qui existaient. Troisième élément : toutes ces considérations liées à la scolarisation des enfants. Donc la formation de la personnalité de l’individu commence au niveau de cette cellule sociale de base que constitue la famille. Voilà pourquoi on considérait que du comportement des parents dépend la personnalité des enfants. De ce point de vue, il y avait si vous voulez une sorte de surcharge commune et assumée par les acteurs qui se marient. Et finalement, vous avez tous ces aspects qui ont tendance à se Il est clair que les hommes mariés qui vont vers les femmes mariées mais aussi les femmes célibataires ne relèvent pas du registre de nos valeurs et croyances. C’est aussi simple que cela. Et en conséquence, on a tendance à banaliser ce phénomène qui devient de plus en plus général. La généralisation conduit le plus souvent à la banalisation. On a tendance donc à dire que c’est normal alors que lorsque l’on se réfère aux croyances, aux traditions et même si la polygamie est posée comme une réalité à la fois traditionnelle et religieuse est organisée et répond à un certain nombre de principes. On ne peut pas au nom de la polygamie se permettre s’adonner à toutes formes de turpitudes possibles et imaginables. Tout cela est organisé et inscrit dans un registre de valeurs auquel les uns et les autres doivent adhérer de la façon la plus stricte qu’il soit. On va mettre dans le même lot de critiques les femmes et les hommes mariés qui s’adonnent à ce type de pratique.
Notre société est devenue aussi déliquescente ? Il y a une série qui met en exergue une femme mariée qui a un petit ami. Cela ne contribue pas à cette dépravation des mœurs ?
En réalité, nos sociétés ont été en contact avec l’Occident et l’Orient. Aujourd’hui, avec la mondialisation, on se rend compte qu’un certain nombre de pratiques et de tendances ont tendance à disparaître. C’est un phénomène de mimétisme qui se développe notamment chez les jeunes. Aujourd’hui, la personne la plus évoluée, la plus accomplie est celle-là qui ressemble plus à l’occidental. Donc, le modèle occidental est en train de s’ériger comme modèle déterminant standard comme un référentiel pour beaucoup de nos jeunes. En conséquence, on assiste à une situation de délitement et de fragilisation de notre plateforme des valeurs.
Est-ce la pauvreté qui pourrait l’expliquer aussi ?
En fait, la pauvreté peut être un élément explicatif. Mais, attention la pauvreté n’est pas forcément la porte ouverte à tous les dérapages. Il y a des communautés, des personnes pauvres mais qui sont dignes. C’est moins la pauvreté que l’attachement à des valeurs fortes. Serigne Moussa Ka affirme dans Xarlu bi que la pire catastrophe qui puisse arriver à un individu qui est bon est le dénuement matériel. Cela signifie qu’un individu qui est bon peut faire face à un dénuement matériel. Ce dénuement matériel peut lui créer des problèmes mais il résiste. C’est l’acquisition des valeurs par la socialisation qui nous permet d’être résilients par rapport à une situation difficile. Oui, la pauvreté fragilise une personne mais c’est une condition suffisante pour expliquer la corruption et de la dépravation des mœurs
Que doit-on faire pour retrouver les vertus d’antan de notre société ?
Ce qu’il faut faire pour retrouver les vertus d’antan ? C’est l’éducation ! Il faut retourner à l’éducation dans la famille, dans la communauté et à l’école. Deuxième chose qui me semble importante est les modèles que nous voulons offrir à nos jeunes, de montrer à nos jeunes que le succès, n’est simplement pas matériel. Le succès est moral. On a besoin de ce point de vue d’un réarmement moral par des modèles fonctionnels. Troisième chose importante ! Il faut accorder une place prépondérante à la culture dans la conduite de nos politiques publiques. Le plus souvent, on attribue à la culture une signification folklorique ou cosmétique. Il faudrait que l’on comprenne que la culture est une formation de l’individu, une construction d’un imaginaire collectif. Toutes les valeurs portées par nos différentes ères culturelles doivent faire l’objet d’une valorisation à travers une politique culturelle adaptée. Il faut mettre l’accent sur le curseur de ces valeurs.