« Je ne vais pas scier la branche sur laquelle je suis assis », avait répondu Macky Sall à la question de savoir pourquoi il tient à cumuler les fonctions de chef de l’Etat et de parti. En décidant de rester à la présidence de l’APR, il prive son éventuel successeur d’une pratique devenue une tradition politique au Sénégal. Et cela donne à croire qu’il ne fera pas comme Abdou Diouf, alors qu’il l’a promis dans une interview à Jeune Afrique en novembre dernier.
Macky Sall ne veut pas tout céder au candidat de la coalition Benno Bokk Yaakaar. Le chef de l’Etat qui assure en même temps les fonctions de président de l’Alliance pour la République (APR) a été reconduit à la tête de cette formation politique, ce jeudi 21 décembre, lors du Conseil national du parti. Parti pour être une cérémonie d’investiture du PM Amadou Bâ, le conseil national de l’APR s’est transformé en congrès extraordinaire. La tournure imprimée au conseil national, sans doute, gardée secrète va, à coup sûr, faire couler beaucoup d’encre et de salive. Le Premier Amadou Bâ, candidat de BBY, n’aura pas les coudées franches, une fois élu chef de l’Etat. Le parti, branche sur laquelle s’assied jusque-là les présidents de la République, va lui manquer pour avoir une totale souveraineté sur les instances source de déstabilisation. Senghor, Abdou Diouf, Abdoulaye Wade et Macky Sall ont tous été chefs de l’Etat et de leur formation politique. Amadou Bâ risque de ne pas avoir le privilège de ses prédécesseurs, s’il est élu président à la prochaine présidentielle. Pourtant, cette revendication longtemps portée par une bonne frange de la classe politique, de la société civile et des Assises nationales n’a jamais rencontré l’assentiment de Macky Sall. « Je ne vais pas scier la branche sur laquelle je suis assis », avait-il répondu au cours d’un face à face avec la presse au palais présidentiel. C’est donc clair, Macky Sall est parti pour garder un pied dans les affaires du pays après avoir procédé à la passation de pouvoir. Un coup de tonnerre pour lui qui avait assuré dans une interview à Jeune Afrique, en novembre dernier : « Il faut savoir tourner la page : je ferai comme Abdou Diouf, je me retirerai complètement ». Il n’en sera rien au regard de la décision du congrès extraordinaire de l’APR qui a décidé de garder Macky Sall comme président, alors qu’il a renoncé à un troisième mandat. Contrairement à Abdou Diouf dont il tient à s’inspirer de la conduite après le désastre de 2000. Diouf a quitté le pays et le Parti socialiste dont il avait auparavant laissé la gestion à Ousmane Tanor Dieng, aujourd’hui disparu. Cette nouvelle suscite naturellement moult interrogations.
La première des questions sur quasiment toutes les langues au sein des apéristes est de savoir si Amadou Bâ a la confiance de ses pairs notamment celle du président Macky Sall. Le parti dont on vient de lui priver la gouvernance est un puissant levier pour contrôler le pouvoir. Quasiment majoritaire à l’assemblée, les députés de l’APR sont en mesure bloquer, par une motion de censure, le gouvernement et de provoquer une crise politique aux lendemains incertains. Il en a, d’ailleurs, été ainsi en 1962 lorsque des députés de l’Union progressiste socialiste (UPS), au pouvoir, votent une motion de censure contre le président du conseil Mamadou Dia. La crise politique aboutit à la chute du gouvernement et aux événements de 1962 marqués par le divorce entre Dia et Senghor. Si Amadou Bâ gagne la prochaine présidentielle, il gouvernera sans une aucune autorité sur l’APR et une réelle prise sur le parlement. Des députés pourraient même continuer à dire qu’ils sont élus de Macky Sall.
La deuxième interrogation porte sur le drame intérieur que vit, à n’en pas douter, Amadou Bâ. Ouvertement contesté par les siens notamment Mame Mbaye Niang, ministre de « son » gouvernement, le PM candidat souffre de ne pas sentir l’union sacrée qui aurait dû se former autour de lui. Nombre de ses camarades lui reprochent d’être quelque peu amorphe face à une opposition incisive. D’ailleurs, du haut de la tribune de la cérémonie d’investiture, le chef de l’Etat lui a demandé de redoubler vigueur, de tendre la main à tout le monde et de rassurer les militants.