Le 23 décembre 2021, Yerim Sow, magnat sénégalo-ivoirien à la tête du Groupe Teyliom, et son collaborateur Yigo Faly Thiam, étaient condamnés par le tribunal de première instance de Cotonou à cinq ans de prison, dont deux ans fermes. Accusés d’escroquerie, de surévaluation frauduleuse d’apport en nature et de non-établissement d’états financiers, les deux hommes font désormais l’objet d’un mandat d’arrêt international. Leur nom figure parmi les individus les plus recherchés au Bénin, une situation qui reflète la complexité d’un contentieux mêlant affaires judiciaires, expropriation et géopolitique économique. La genèse du conflit : l’expropriation du Noom Hotel Tout commence en février 2020, lorsque Yerim Sow reçoit un appel du ministre béninois des Finances l’informant que le Noom Hotel, en cours de finalisation à Cotonou, est réquisitionné pour « utilité publique ». Cet établissement de luxe, achevé à 90 % pour un coût de 15 milliards de FCFA, devait s’étendre sur 2 hectares obtenus sous bail durant la présidence de Yayi Boni. Les autorités béninoises justifient cette décision par le besoin d’ériger à la place le Monument Amazone, projet emblématique du Bénin Révélé, programme de développement porté par le président Patrice Talon. Malgré les tentatives de négociation et la promesse d’un remboursement des investissements engagés, le groupe Teyliom n’a reçu aucune indemnisation à ce jour. Selon les autorités, les délais contractuels de construction étaient échus depuis 2016. Pourtant, Yerim Sow assure avoir bénéficié de plusieurs prorogations jusqu’en 2018 et affirme que le projet était prêt pour exploitation avant sa réquisition. Un bras de fer judiciaire et économique L’affaire ne se limite pas à l’expropriation. En 2021, les tribunaux béninois condamnent Yerim Sow pour des manquements financiers liés au projet. En réaction, le Groupe Teyliom a saisi le Centre International pour le Règlement des Différends relatifs aux Investissements (CIRDI) à Washington et la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l’OHADA à Abidjan, contestant la légalité de l’expropriation et réclamant une compensation pour le préjudice subi. Ce conflit intervient dans un contexte marqué par d’autres réquisitions d’actifs hôteliers au Bénin. Le futur hôtel Marriot de Ghaby Kodeih et le Marina Hotel de Martin Rodriguez ont également été nationalisés ou démolis pour laisser place à des projets étatiques, souvent confiés au groupe Accor, partenaire privilégié du gouvernement béninois. La médiation avortée du Président Macky Sall Dans une tentative de désamorcer la crise, le président sénégalais Macky Sall a initié une médiation entre Yerim Sow et Patrice Talon. Cependant, cette intervention est restée vaine, le président béninois campant sur ses positions, et les discussions n’ont jamais abouti à un règlement amiable. Un modèle remis en question ? L’affaire soulève des interrogations sur la protection des investisseurs privés au Bénin, présenté comme un modèle de gouvernance par la Banque mondiale et le FMI. Certains observateurs dénoncent un possible conflit d’intérêt entre Patrice Talon, chef de l’État, et ses activités passées dans l’hôtellerie et le coton. Les critiques pointent également des pratiques jugées arbitraires qui pourraient ternir l’attractivité du pays pour les investisseurs étrangers. Au-delà du destin de Yerim Sow, ce dossier met en lumière un paradoxe : celui d’un État qui prône les réformes et la modernisation tout en suscitant la méfiance des acteurs économiques qu’il cherche à séduire. Le bras de fer reste ouvert, en attendant les décisions des juridictions internationales.